« Mais c'est quoi la magie? » La question résonne après une heure de discussion. Nous sommes six autour de la table : Alex, Stéphanie, leur fille Elli, Sarah, Gijs et moi. Alex, Stéphanie, Sarah et Gijs sont membres du collectif Open Source Publishing mieux connu sous le diminutif OSP. Je suis les aventures d'OSP depuis sa création en 2006. Lorsque Sarah et Alex m'ont demandé d'écrire un texte pour le catalogue de leur exposition, j'ai saisi l'occasion d'aller plus loin dans un dialogue épisodique et passionnant qui se développe depuis dix années. Dans le jargon d'OSP, je suis ce qu'ils appellent un membre d'honneur. C'est une manière fort gentille de dire qu'on partage beaucoup de choses, essentiellement l'enthousiasme pour les ouvertures politiques et poétiques qu'offre le logiciel libre. Comme compagnon de route d'OSP, j'ai une connaissance de leur travail qui est à la fois intime et superficielle. Ce texte ne sera pas une introduction à OSP. Ils ont produit de très beaux textes qui invitent à découvrir leur pratique. À cela, il n'y a rien à ajouter. 1 On trouvera ici plutôt une série de questions qui émergent d'une discussion à bâtons rompus. On y parlera de graphisme, mais aussi de magie, de temps et de contes de fées. Ce texte est émaillé de termes techniques. J'ai essayé tant que possible de les commenter dans le flux du texte ou en notes car pour OSP la technique n'est jamais seulement de la technique mais toujours aussi autre chose.

Ce texte est basé sur une conversation qui a lieu dans l'appartement d'Alex et Stéphanie, à Bruxelles. Nous avons rendez-vous à 18 heures. Alex et Stéphanie font des aller-retours dans la cuisine qui communique avec la pièce où nous nous tenons. Au fur et à mesure de la conversation, le repas se prépare. Dans la grande tradition « culinaire » d'OSP qui n'a pas choisi par hasard l'extension « .kitchen » pour son nom de domaine. La cuisine c'est tout un environnement de partage, l'importance du repas comme moment qui crée du collectif, c'est aussi le partage de la recette. La cuisine, c'est l'opposé de la salle-à-manger, c'est là où l'on est dans le faire plutôt que dans la consommation, dans le processus, dans le comment. Inviter quelqu'un dans la cuisine, c'est lui donner accès aux techniques, c'est une forme de transparence. On peut suivre l'évolution de l'aliment du cru au cuit, de sa matière brute à son raffinement progressif. La cuisine est un lieu de socialité, on fait en parlant.