Postface

Adrien Grimmeau

Directeur de l’ISELP

Les recherches menées pour ce livre nous ont permis de découvrir une histoire que nous-mêmes, dans l’équipe, ne connaissions pas. L’historique reconstitué témoigne des changements successifs de l’Institut au fil des décennies, des directions, et d’un contexte bruxellois en mutation. Riches d’une meilleure connaissance de nos racines, nous pouvons définir plus précisément dans quelle direction nous voulons voir pousser nos branches.

En lisant cette histoire, il me semble que l’ISELP est à l’intersection fertile de trois ensembles qui ont joué un rôle avec une intensité variable au fil du temps. À mes yeux, ils ont tous trois autant d’importance, et je les évoque donc sans ordre spécifique. Il s’agit du public, des artistes et des chercheurs.

Le public. L’ISELP a été créé pour répondre à une demande : combler un manque dans la compréhension du monde artistique par un public curieux mais non expert. Un demi-siècle plus tard, la donne a changé : un amateur cherche désormais plus facilement des informations sur internet que dans un programme de cours. Cependant, je suis persuadé que nous existons pour le public, aussi large que possible. C’est même probablement plus nécessaire aujourd’hui qu’auparavant. Les avis se multiplient, les discours se subjectivisent, le concept de vérité devient flou. En tant qu’institut, nous devons respecter le public et lui offrir une approche la plus juste, la plus sincère possible. En parallèle, il me semble central d’initier les plus jeunes à la culture au sens large, pas tant dans l’idée d’inculquer une culture générale que dans celle de développer au maximum leur capacité d’analyse, et donc leur esprit critique. L’œuvre d’art est un regard sur le monde : la décoder, c’est confronter son opinion, élargir son horizon. Il ne s’agit pas de convaincre de la qualité de l’art contemporain, mais de convaincre qu’il y a là matière à se développer. Très certainement, au moment où les contenus deviennent largement virtuels, penser un institut comme un forum, un espace de rencontre et de dialogue réel entre public, artistes, chercheurs, fait sens.

Le deuxième ensemble est constitué par les artistes. Ici aussi, cela paraît être une évidence. Cependant, les recherches menées pour cet ouvrage ont montré que l’ISELP n’est pas historiquement lié aux artistes contemporains. Le rapprochement s’est effectué progressivement, avec un tournant marqué au début des années 2000. Aujourd’hui, nous sommes l’un des principaux lieux subventionnés de soutien aux plasticiens belges. Cela signifie qu’au-delà du discours sur l’art que nous souhaitons accueillir, nous accordons une attention particulière à présenter la scène belge, spécialement émergente.

Ces derniers mois ont prouvé la précarité de ce secteur, et il apparaît comme une évidence de renforcer le soutien et la visibilité de cette scène. Sans les artistes, l’ISELP n’a pas de sens. Ce soutien ne consiste pas simplement à montrer. Il est aussi nécessaire en termes de production, de réflexion, de diffusion de la pensée, de médiation… Si, il y a quelques décennies, nous travaillions principalement avec des œuvres, aujourd’hui nous travaillons avec des artistes. Il s’agit de productions in situ, de collaborations avec des écoles, de résidences de recherche, de productions dans l’espace public… Cela s’accompagne de doutes, d’unions pas toujours évidentes entre art et administration, entre art et public.

Si nous souhaitons nous affirmer comme lieu de lien entre création et société, nous devons être à la hauteur de cet engagement vis-à-vis des artistes. En termes de temps, d’argent, de ressources.

Le troisième ensemble est constitué par les chercheurs. Il s’agit probablement de l’ensemble le moins identifié. Historiquement, il renvoie à la fois aux conférences données par des professeurs, à l’action menée par l’Institut dans le champ de l’art public par le biais de tables rondes puis d’expertise au sein de commissions, et aux colloques organisés dans les années 2000. Aujourd’hui, je souhaite concevoir notre rapport à la recherche exactement comme notre rapport aux artistes. Il s’agit d’accompagner une scène, de lui donner les moyens d’exister, et de rencontrer une audience. Cela signifie qu’il est autant question de diffuser une recherche établie, par le biais de conférences et cours, que d’encourager des questionnements neufs. Les résidences scientifiques que nous initions dans le cadre des cinquante ans de l’ISELP en sont le premier témoignage : permettre à un historien de l’art de venir construire son propos en nos murs puis le diffuser témoigne de notre volonté d’encourager les réflexions nouvelles. Très clairement, nous souhaitons accompagner une pluralité de discours sur les rapports entre art et société contemporaine, et des conceptions les plus larges possibles de l’art actuel. Nous sommes demandeurs d’une scène d’historiens qui soit diversifiée, en phase avec la société. De la même façon, les sujets évoqués doivent être décloisonnés. Même si les vingt dernières années de l’ISELP ont assis une action dans le champ des arts plastiques contemporains, les décennies plus anciennes doivent continuer de nous encourager à nous intéresser à des formes moins reconnues comme ont pu l’être le clip vidéo, la caricature ou la bande dessinée, pour ne citer que quelques exemples accueillis ici. Les arts plastiques et l’histoire culturelle doivent se rencontrer.

Ces trois ensembles forment un tout dont la force réside dans la rencontre. L’ISELP est un carrefour, un forum, le lieu d’une co-construction de notre rapport au monde. L’échange est le maître mot. Quel est l’objectif de cette rencontre ? En joignant une recherche artistique ou scientifique en cours à un / des publics, initiés ou non, il s’agit de participer à la démocratie culturelle. Cela ne peut se faire qu’horizontalement : en croisant les discours, en croisant les disciplines artistiques. Le décloisonnement qui a marqué la création de l’Institut me sert encore de modèle aujourd’hui. Plutôt que de tenter de convaincre de la pertinence d’une scène artistique (il s’agit alors de démocratisation de la culture), il importe de créer et défendre ensemble une vision de l’art qui fasse sens dans le monde qui nous entoure. Qui permette à chacun de s’approprier un peu mieux son quotidien, grâce à la multitude d’approches de l’art : regard critique, émotion, pas de côté, focalisation accrue, humour… L’art n’existe que comme objet de société, comme lieu collectif, aussi intime que puisse en être sa perception. En ce sens, nous souhaitons être un lieu de société.